Le pouvoir est sourd au discours des gilets jaunes, il les traite comme une
nuisance et rétorque à leur colère par une violence spectaculaire qui se
prétend légitime mais qui attise des réponses maladroites et transforme en
propagande étatiste la casse qui s’en suit. Pour l’oligarchie dominante, dont
les journalistes sont le micro et les politiciens les majordomes, les gilets
jaunes sont un problème à endiguer, à résoudre, ils sont les migrants de
l’intérieur dont on doit se débarrasser.
Ainsi, le délire de puissance des détenteurs de la domination a poussé ces
Bras nus du XXIème siècle à puiser dans leur humanité jusqu’à s’apercevoir que
ce qui est en jeu, est bien plus qu’une aumône sur le pouvoir d’achat. Ce qui
est en jeu (depuis belle lurette, d’ailleurs, et pas en France uniquement)
c’est l’émancipation de l’espèce, la fête révolutionnaire capable de décréter
joyeusement la fin d’une societé mortifère, d’un mode de production – le
capitalisme – devenu désormais, au nom du profit économique, un mode de
destruction de toute socialité humaine, jusqu’à la biosphère qui rend la vie matériellement
possible. Ainsi le souci respectable et urgent, mais minimaliste, de lutter
pour rendre supportable la fin du mois, s’est relié naturellement à la
nécessité d’empêcher la fin du monde en décrétant la fin d’un monde dont on ne
veut pas car ce n’est pas le notre.
Une vraie démocratie présuppose le pouvoir du peuple. C'est-à-dire un
pouvoir partagé par tous que seule la structure du Conseil peut garantir.
C'est-à-dire une organisation sociale où la communauté laïque réelle se
substitue à l’Etat afin que le peuple, réuni DIRECTEMENT en assemblée, décide librement
de tout ce qui le concerne et trouve, par la discussion, des solutions aux
problemes qui se posent, en ayant pour but l’unanimité (toujours difficile et
rarement immédiate, mais assez souvent possible entre individus sociaux égaux,
libres et fraternels).
Quand l’unanimité n’est vraiment pas au rendez-vous, le vote est une
méthode de décision qui permet d’avancer, d’évoluer dans le sens considéré le
meilleur par le plus grand nombre. Cela n’empêche pas les minorités d’exprimer
leur autonomie et leur différence dans le respect des décisions de la majorité.
Rares sont les situations où l’incompatibilité entre majorité et minorité peut
pousser à une rupture, mais si les affinités disparaissent, comme cela peut
arriver en toute histoire d’amour, chacun et chacune (et chaque groupe) doit
pouvoir reprendre sa liberté sans empêcher celle des autres.
Par cette description, certainement insuffisante et qui mérite un ample
développement, je viens d’ébaucher ce qu’on appelle une démocratie directe. En me répétant volontairement, j’ajoute réelle, car une démocratie n’est pas réelle
si le peuple n’est pas le décideur direct de sa destinée (on pourrait parler de
peuple souverain, mais cet adjectif a été tellement pollué par les
obscurantismes réactionnaires qu’il devient ambigu).
La différence est grande entre le peuple libre qui discute et vote dans les
conseils, et les serviteurs volontaires qui élisent leurs dictateurs. C’est en
cela que le tour de passe-passe de la démocratie représentative est
insupportable.
Dans une démocratie réelle, les
seuls représentants plausibles sont choisis comme porte-paroles de la volonté
générale établie par le Conseil (des multiples conseils fédérés entre eux). La
représentation est une nécessité pratique face au grand nombre, mais elle ne
doit jamais devenir un alibi pour instaurer une verticalité de pouvoir qui se
traduit toujours en hiérarchies et en domination. Donc révocabilité constante
des représentants et leur contrôle continu de la part du Conseil et des
individus qui les ont nommés. Plus d’Etat, mais une fédération élargie des
Conseils qui ont pour base le local – le ici et maintenant – tout en se reliant jusqu’au planétaire, en
passant par régions, nations et continents sans la moindre perte d’autonomie.
La fin de l’Etat coïncide,
d’ailleurs, avec la fin du nationalisme car le but de la nation anthropologique
est l’internationalisme qui s’oppose aux Etats-nations en incluant des nations
fédérées, fraternelles et libres de la moindre connotation chauviniste. Ainsi
notre Europe libertaire effacera leur Europe libérale et leurs Etats mafieux.
C’est en escamotant cette exigence intimement humaine au cœur de la
communauté inachevée et meurtrie par le patriarcat et par le productivisme, que
la lutte des classes et des genres a commencé, il y a plusieurs millénaires,
par volonté de pouvoir et perversion narcissique.
Les dominants et les dominées des
deux genres sont le résultat d’une rupture de l’horizontalité communautaire qui
est toujours fragile et d’une perte de la centralité du féminin qu’il faut
protéger de la peste émotionnelle. Celle-ci, produite par les frustrations d’un
engorgement de la passion de vivre, provoque une diffusion inouïe du caractère phallique-narcissique
et favorise l’irruption d’une mentalité autoritaire, voire explicitement
fasciste. Ainsi la classe dominante justifie l’exploitation et l’humiliation de
la femme « subalterne » et de l’homme « inferieur » par le
mâle dominant et par la femme collabo. Hitler, Staline et Thatcher même combat,
mais ils ne furent certainement pas les premiers ni les seuls tout le long de
l’histoire. Les religions monothéistes et l’économie politique partagent la
responsabilité du totalitarisme qui monte. Ainsi, avec ou sans un petit gilet
jaune sur les épaules, c’est peut-être la destinée humaine de l’humanité qui va
pouvoir change de cap.